Article Synodies 2007, forum du GRETT

Transe, mystique, créativité
éclatement du moi et/ou pathologie

 Voyage de l’esprit ou voyage dans la conscience, la transe nous emporte dans un au-delà que nous cherchons tous à expliquer et rationaliser car elle nous offre, l’espace d’un instant, une possibilité de transcendance. Le corps, lieu alchimique d’où elle prend naissance, fait d’elle un don mystérieux de la Nature, une projection dans l’infini de l’aventure humaine. Par conséquent, tout en nous initiant à l’expérience spirituelle, elle nous confronte d’emblée à nos croyances, aux prisons du mental, nous ramenant inévitablement à l’écueil politique du religieux et de la Vérité. Et, puisque aujourd’hui la thérapie s’adresse non seulement au « moi » mais à la Conscience, elle s’impose à nous au cœur de ce processus frayant sa propre voie de guérison.

Pourquoi la transe ?

 Depuis le début la transe a été mon chemin peut-être tout simplement parce qu’elle m’offrait la vision d’un monde meilleur, en fait avec elle je ne pouvais pas tricher, j’étais face à ma vérité. Mes recherches m’ont amenées en Afrique, au Groenland, en Californie et finalement au Brésil sur les traces dans anciens cultes et des traditions pratiquant encore aujourd’hui la transe. Je suis avant tout thérapeute, je ne crois pas à la magie mais au pouvoir du libre arbitre et du combat de l’âme pour retrouver son propre paradis. Depuis mes premières expériences de Transe Terpsichore Thérapie dans un cadre thérapeutique jusqu’aux initiations reçues, la pratique régulière de la transe médiumnique, au sein du culte afro-brésilien de l’Umbanda, mon cheminement a été celui du chercheur essayant de comprendre l’essence d’une vérité échappant sans cesse.

 Pas à pas la transe a cessé d’être un « shoot » énergétique se polarisant en manque, dépression ou décompensation, pour devenir un acte sacré, comme une prière nous remettant aux forces de l’univers, un guide sur le chemin d’une évolution sauvegardée par l’âme. Chaque fois bouleversée, ébranlée, tourneboulée j’ai appris, j’ai affirmé, j’ai douté. Plus apte aujourd’hui à comprendre les lois de l’énergie subtile à l’œuvre dans les phénomènes de transe, elle est devenue l’axe thérapeutique de mon travail avec des personnes souffrant de dépendances, de dépression ou d’états de déstructuration profonde. En effet, à la fois régénérescence énergétique nous offrant une réelle expérience de la santé, et vision, expansion de la conscience, réalignant nos propres valeurs spirituelles avec l’aspiration à la Totalité de la Vie, elle est en elle-même une guérison nous permettant d’accéder à l’acte créateur. Elle a reconstruit pour moi un lien à la Nature et à la vie, celle dont je suis façonnée si intimement déterminant l’essence et l’essentiel de qui je suis, l’immensité d’une profondeur et d’une richesse m’autorisant l’apaisement et la libération. Aujourd’hui je partage ce chemin avec d’autres dans des séminaires dans la nature où je laisse la transe nous réapprendre à danser les éléments et la Vie.

 La transe advient lorsque le « moi » disparaît, nous dépossédant de tout en nous ouvrant la voie de la Connaissance. Elle m’a poussée toujours plus loin faisant miroiter à l’horizon la cohérence d’un sens. Très tôt il m’a semblé évident que la psychologie se devait de revenir à un questionnement sur l’âme pour construire de nouveaux repères théoriques. La transe m’a guidée. Le processus thérapeutique doit devenir un espace où s’entrechoquent croyances et préjugés permettant de contacter, et construire, des valeurs spirituelles personnelles. Pourtant, il ne peut s’encombrer de certitudes et doit autoriser un vide parfait faisant de l’expérience transpersonnelle un retour à la quête fondamentale de l’Homme et au mouvement dynamique de la vie.

 Accordant à l’Homme l’extase du divin, la transe a été de tous temps une pratique religieuse. Elle existe pourtant en tant que possible à l’intérieur de chacun d’entre nous. Cependant, elle reste le plus souvent la prérogative des initiés, peut-être parce que, sans préparation, on risque fort d’y rester. La folie guète, ou la dépendance, car la transe fascine, enivre, emporte réduisant le « moi », château fort construit au nom de tant d’idéaux, à un leurre de fétu de paille. Le rituel, les connaissances transmises par des traditions millénaires, nous préservent sans doute de cette mana à double tranchant. Pourtant la transe nous appartient en propre, un possible lové dans l’aventure de l’expérience de la matière. La culture occidentale l’a profondément reniée jusqu’à la reléguer aux manifestations intempestives de l’hystérie et de la convulsion, ou à l’étrangeté du primitif. L’Homme, libre de connaître le divin par la voie du corps, de redécouvrir dans la nature, Dionysos et la nature sauvage, indomptée, inviolée par l’Homme et telle que Dieu l’a sans doute rêvé pour nous, est sans doute un danger pour la Cité et une terreur à l’intérieur de nous.

 Mais la transe retrouve peu à peu droit de cité, comme une nécessité s’imposant à nous lorsque l’errance dans le labyrinthe des illusions s’apparente à une condamnation à mort. Elle revient en force comme une violente séduction, grâce à la drogue le plus souvent, et des tas de « trucs » tissant peu à peu l’enfermement d’une dépendance, une fuite de la vie et un univers de fantasmagories. Dans ce contexte elle n’offre plus l’essentiel, la transcendance reliant l’être à une verticalité transformatrice. La transe est une porte, une traversée, l’expérience de la Lumière de la Vie dans l’obscurité initiatique de la matière, un paradis conquis au prix  du lâcher prise lorsque le retour devient une opportunité d’évolution. Au bout du compte, elle nous ramène à ce temps d’avant, cyclique ou circulaire comme la spirale de la transe, un temps décliné au féminin car il appartenait à la Déesse, honorée parce qu’elle était la Nature et la nature de la Vie. Ainsi la transe, en nous offrant de goûter, nous réapprend l’amour de la vie.

Qu’est-ce que la transe ?

 La transe est un héritage d’un autre temps, une pratique rituelle liée le plus souvent au chamanisme et aux anciennes traditions rendant culte à la Nature et se reliant à d’autres dimensions grâce à une connaissance précise des lois de l’énergie subtile. On la rencontre encore aujourd’hui par endroits, là où les valeurs occidentales n’ont pas encore vaincu. La transe est un phénomène corporel endogène s’inscrivant à l’intérieur de tout un langage symbolique et philosophique parfois très différent. Elle est donc ce passage ou cette traversée vers d’autres réalités, d’autres plans de conscience, un au-delà dont il nous reste finalement peu de chose au retour mais qui ne cesse d’être une inspiration pour l’Homme dans son besoin d’absolu.

 Nous avons tous vu les fakirs allongés sur les clous ou fait l’expérience de la marche sur le feu ou entendu parler de ces guérisseurs au Brésil ou à Haïti réalisant des opérations chirurgicales à mains nues et sans infliger aucune douleur. La médiumnité dans les cultes afro-brésiliens ou africains est aussi un état de transe, de même que la vision pour le chaman ou la clairvoyance. Ainsi la transe inflige au corps lui-même une transformation transgressant même la normalité des lois physiques de la matière. Comment ? Pourquoi ? Les explications sont multiples, variées, aussi transitoires que les vérités affirmées par ces traditions elles-mêmes. Pourtant la transe nous parle intimement de quelque chose, nous relie à quelque chose et nous ouvre à quelque chose. Grâce à ces rythmes répétitifs qui immobilisent le mental et font parler le corps, elle nous propulse dans un autre espace temps imprimant à notre aventure un goût de vérité indiscutable.

 Nous avons du mal à ne pas confondre la méthode et l’objet. Le cadre et l’objectif ont certainement un impact déterminant sur le vécu de la transe. Un rituel chamanique destiné à retrouver une âme perdue va générer un certain type de transe. Un rituel vaudou va induire une transe de possession. Un travail de thérapie va sans doute se limiter à une catharsis énergétique permettant de travailler sur les difficultés du lâcher prise. Mais la transe est avant tout ce moment de traversée, cet instant de cassure ou le « moi » se désagrège, un phénomène corporel inouï nous amenant à transcender la matière tout en partant de la matière.

 Subtilement elle fait aussi partie de nos aspirations profondes, un dialogue avec l’absence pleine du non moi, un appel à la transcendance des limites et des lois naturelles, la vie, la mort, le désir, la manque, l’affliction de la transformation. La transe suit l’objectif de l’intention et se parle à l’intérieur d’un cadre et d’une logique prédéterminée. Pourtant elle nous met à chaque fois face à l’épreuve d’un terrible lâcher prise, nous ramenant à une immensité qui n’est autre qu’une dépossession du je ». Au nom de quoi cherchons-nous cet affrontement ? L’exil qui nous hante tout à coup ne se satisfait plus de « l’avoir » et nous amène à poser la question du sens. Alors au détour d’une fête ou d’un exploit sportif, d’un rituel ou d’une respiration, la transe nous tombe dessus et fait voler en éclats les certitudes qui maintiennent en opposition les différents fragments du monde relatif.

 La transe passe par l’énergie c’est à dire la matière, elle est transmutation et transcendance du crée vers l’essence et l’origine, révélatrice des mystères de la création ou du divin dans ses multiples formes. Elle est pourtant un don inné chez chacun d’entre nous, comme un joker laissé là depuis l’origine au cas où l’Homme vienne à se perdre et commence à prendre ses croyances pour des réalités, ou pire encore, s’imagine détenir le rennes de la Création.

 Le mot transe aujourd’hui est un peu dévoyé. On l’amalgame tout simplement aux changements d’états de conscience qui, tout en étant une expérience corporelle, ne défient pas forcément la structure elle-même à une expansion énergétique bouleversant les fonctions sensorielles et perceptives. Dans le dictionnaire le mot s’apparente à « transir », littéralement « entrer en engourdissement », venant du latin : « transire » signifiant « aller au-delà » à une époque où la cohérence philosophique du monde était autre. Au XII ème siècle, «transir » devient mourir et à la fin du XVI ème, le mot transe est associé à l’agonie, puis, plus récemment, à la médiumnité. Son parcourt dans la langue française traduit le côté extrême du phénomène ainsi que la mise à l’index du monde chrétien vis à vis de cet héritage pourtant si présent chez les Celtes. En tous cas, il véhicule encore, même relégué à un phénomène objectif et culturel défini, une impression d’extraordinaire, et la notion d’une transition définitive d’un état à un autre.

 La transe est souvent une porte vers l’extase, mais la racine étymologique du mot nous met sur une autre piste : extase ou Ek Stasis voulant dire « hors de l’état », à nous donc de ne pas confondre extase et plaisir en ramenant à une dimension horizontale un phénomène installant une verticalité. Mélanger les axes crée décentrage, confusion, inadaptation et tendance suicidaire. Encore une fois peut-être est-ce pour cette raison que la transe a été de tout temps ritualisée et sacrée. Néanmoins l’Homme a besoin d’extase au même titre que manger ou boire, la quête verticale de transcendance est une nécessité lui permettant de se reconnaître. La vision de quelques uns a été constitutive des religions, mais les interprétations dogmatiques ne sont qu’une certaine compréhension de l’ordre universel cristallisé dans un espace temps déterminé. La transe n’est pas une histoire de chamanisme ou un pouvoir attribué à des élus, mais un seuil, existant à priori à l’intérieur de chacun de nous, un possible de la conscience dans son besoin de retrouvailles ave l’Unité.

 Pour nous occidentaux, dans un monde voué au Dieu de la Science, ces expériences deviennent des évènements solitaires et incompréhensibles, difficilement intégrables à moins que la psychologie ne s’émancipe un peu de ses préjugés. Quelque soit le cadre, l’accident de la transe offre des similitudes flagrantes au niveau du vécu. Les croyances changent, les explications et les vérités, en tous cas la manière d’en parler. Car il faut pouvoir en parler, au risque de basculer dans le déni ou d’y rester, fixé dans l’incapacité de s’harmoniser avec la simplicité d’une petite vie de tous les jours.

 Autrefois la transe était un porte parole des Dieux, un moment de communion avec l’universel au service des besoins de la communauté. La transe ne se pratiquait jamais pour soi, pour se guérir, mais pour les autres, pour « nous » tous, un « nous » qui n’était pas seulement une adhésion, une croyance, mais un état de fait. En effet, en dissolvant le « moi », en outre passant les « je », la transe relie les êtres dans une indivision communautaire, une participation mystique. Elle rassemble les morceaux épars d’Osiris, nous rendant accessible à Isis, principe féminin du lien fait de compassion et d’amour sans laquelle cette chirurgie serait impossible.

Et donc qu’est-ce qui arrive ?

 La transe est aussi multiforme que les situations où on la rencontre et les techniques pour la déclencher. Très sommairement nous pouvons séparer deux approches : la transe déclenchée par un travail du corps, le souffle, la danse, le chant, les rythmes, mais aussi la prise de produit, ou la transe provoquée par une force énergétique venant de l’extérieur, une invocation. Parfois les deux éléments sont concomitants. Pourtant un paramètre demeure : une réaction corporelle liée à la nécessité d’un effacement du « moi » pour autoriser le lâcher prise et le voyage de l’esprit.

 Techniquement, plonger dans la matière signifie s’adresser au Feu Primordial, réveiller le Feu du corps, origine de la vie, libido et pulsion, cette violence instinctive à priori nous installant dans un processus d’être. De cet ancrage dans les forces telluriques de l’incarnation, décrite comme la puissance du serpent ou la Kundalini, émerge la transe emportant sur son passage les constructions identitaires de la structure corporelle. Les forces ascendantes s’unissent aux forces descendantes, le bas rejoint le haut, les polarités se rencontrent, éclair d’un instant nous emportant dans le clair obscur d’autres mondes. Pour la physique énergétique cet événement équivaut à une mort-absence autorisant une pleine présence. En fait la mort dont il est question ici est celle du « moi », effacement devenant clairvoyance et régénérescence.

 Nous pouvons aisément comprendre pourquoi l’initiation et la préparation sont des phases nécessaires, un pas à pas permettant à la structure psychologique de la conscience une intégration saine et une évolution. La transe au service d’une quête de verticalité est une opportunité, mais détournée en satisfaction horizontale, elle devient forcément un déséquilibre. Nous sommes donc amenés à réfléchir sur le positionnement intérieur de cet axe vertical face à l’horizontal et aux sacrifices nécessaires permettant une vraie interaction entre cette double dimension et installant un « je » au centre parfait de cette dynamique. Lâcher prise devient alors une porte autorisant un raccordement à la Vie, à la fois Lumière et Conscience, mais aussi une aventure fondamentale et transformatrice pour le « moi » qui, au travers d’une mort et renaissance, s’appuie sur cette  expérience spirituelle pour se reconstruire. Nous revenons ainsi à la psychologie et à l’impulse horizontal de manifestation et réalisation.

 Il nous suffit d’écouter le cri d’un nouveau né en bonne santé pour comprendre la signification d’une pleine ouverture énergétique. Au fur et à mesure de la constitution de la personnalité, une structure corporelle se précise établissant le « moi » dans une économie libidinale vivante et évolutive. Cette structure identitaire corporelle est une forme de conscience modelée par des croyances, des valeurs, des attachements, tout un passé, un certain filtre perceptif donc délimité par les émotions. La « conscience moi » est ce que nous appelons le plus communément réalité. Nous admettons aisément l’incidence de facteurs individuels dans l’interprétation de ce que nous appelons réalité, néanmoins ce concept est aussi un consensus collectif, un héritage implanté dans les individus d’une même culture. Elle devient, par conséquent, un facteur de socialisation nécessaire et fondamental, le pôle attractif appelant  le « moi » à être.

 La structure corporelle du « moi » peut être plus ou moins fonctionnelle, autorisant ou déviant toute forme de satisfaction. Elle peut être extrêmement rigide, bardée de peurs, ancrée dans des idéaux tortionnaires privant l’être d’une réelle capacité d’épanouissement, ou alors incapable de transformation, happée par des deuils non faits. Bien sûr elle peut aussi être immobilisée dans des conflits contradictoires, morcelée, incapable de stabilité, dérobant le « moi » d’une réelle consistance.

 Mais du point de vue de la transe cette structure est toujours un monde limité, comme cette pierre : aujourd’hui œuvre d’art de la nature, voyageant vers la décomposition, hier torrent de lave émergeant du Feu du centre de la Terre. Donc la structure corporelle est le substrat concret et énergétique de notre monde, personnalité et émotions, englobant, si on se réfère à la théorie psychanalytique « le moi, le préconscient et l’inconscient », un univers complexe fait de mémoires, d’empreintes, de distorsions aussi, engagé envers et contre tout quoiqu’on en pense, à maintenir la vie. Ce système en équilibre autour de certains éléments psychiques considérés comme fondamentaux est apparemment statique. Pourtant, comme la pierre, il est aussi dynamique, confronté à une perpétuelle nécessité d’évolution ne serait-ce qu’à cause de la transformation naturelle inhérente à la matière. Au-delà de cette simple force d’entropie nous obligeant à l’évolution, il porte en lui la force inépuisable d’un mouvement perpétuel et dynamique, le Feu de la Vie. En fait, nous le percevons le plus souvent comme de l’insatisfaction, ce quelque chose qui nous pousse toujours plus loin et nous oblige à remettre parfois tout en question. Cet impulse intérieur, porteur sans doute des aspirations les plus intimes que j’aimerais attribuer à l’âme, lutte contre toute immobilité, et même la stabilité, car celles-ci sont synonymes de morbidité et plus simplement de mort.

 Je ne suis pas sûre que nous soyons souvent à l’écoute de ce mouvement intrinsèque de la Vie, ni prêts à le considérer comme un guide. Il est pourtant forcément un messager de la Nécessité. Par contre, nous sommes très occupés à créer des havres de sécurité, intérieurs et extérieurs, faits de prisons matérielles, de codes et de vérités. Nous sommes à la recherche de repères et de chemins à suivre, nous avons peur de ceux que nous portons en nous. En fait, la peur est maîtresse de la plupart de nos choix et de nos envies, plus active certainement que nos rêves ou la foi. Ainsi le lâcher prise réveille cette lutte pour le contrôle qui a permis à l’homme de s’imaginer, l’espace d’une vie, maître du monde. Le lâcher prise à la transe pourrait être des retrouvailles, mais devient une épreuve, un affrontement à la mort. Car la transe est la Vie, celle qui éructe du volcan et prend le corps lui offrant liberté et régénérescence comme un barrage qui se rompt. D’un coup on est du côté du potentiel infini de la vie et de l’illimité de la conscience.

 Dans un cadre thérapeutique, l’apprentissage du lâcher prise est un processus d’accouchement, la découverte de forces et d’informations affranchies des modèles psychologiques et des interprétations. Le travail sur le « moi » reste au centre de nos préoccupations ce qui n’est pas le cas auprès des guérisseurs et lors des différentes pratiques rituelles. La transe en thérapie ouvre  à une exploration d’autant plus étonnante que le lâcher prise autorise l’accession  aux niveaux les plus profonds de dépossession du « moi ». Ainsi, elle pose une sacrée colle à la psychologie car elle met la guérison du côté du « non moi » alors que celui-ci d’habitude signe une pathologie grave.

 La psychologie transpersonnelle, s’imposant à un endroit charnière entre les théories de la psychologie et les dogmes spirituels, fait du « moi/je » la partie condensée, pierre brute ou cristal, des différentes strates de l’être, l’écorce en quelque sorte, ou alors l’ombre sur les parois de la caverne. Il a été le « sine qua non » dans toutes les approches s’occupant de santé mentale, joyeux hériter d’un monde préoccupé de matérialisme et de Raison, élevant l’autonomie du « moi » à une victoire sur l’obscurantisme d’un ancien temps dans la mesure où la communion avec la Nature pouvait être vécue comme une nécessaire soumission. Le Sphinx s’est jeté dans l’abîme vaincu pat l’intelligence d’Oedipe qui s’en est allé accomplir son destin de maître.

 Chaque théorie en psychologie s’élabore autour d’un modèle, la psychologie transpersonnelle n’échappe pas à cette règle. Trop souvent nous nous faisons la guerre pour protéger nos croyances alors qu’autoriser les confrontations et l’incertitude nous permet de rester des chercheur. Nous avons tous une conception de ce que doit être le « moi » et, à partir de là, une théorie servant de cadre au traitement des déficiences. Nous ne pouvons échapper au parcellaire de ces différentes théories car l’Homme est incapable de fonctionner en lien avec l’Absolu ou la Totalité. Si la psychologie se définit par la véracité, ou alors l’efficacité de ses modèles, elle reste éphémère et subjective dans ce qu’elle propose. Si elle peut ouvrir un espace au doute, elle autorise la vie quelle qu’en soit l’expression et la forme. Tant qu’elle se préoccupera essentiellement de l’adaptation ou la ré adaptation, elle se maintiendra en deçà de la quête fondamentale de l’Homme dans son besoin de réparation.

Le retour

 Nous avons l’habitude de définir les états psychotiques comme une déstructuration du « moi , une incapacité à gérer les différents mécanismes et contenus inconscients. Or nous avons vu que, quelque soit la forme de transe, la profondeur dépend de la capacité du « moi à disparaître au moment du lâcher prise. Ainsi nous pourrions facilement dire que la transe est un accès psychotique, pourquoi pas ?

 N’oublions pas que le psychologue s’attèle à la guérison d’une souffrance. Nous imposons facilement nos modèles explicatifs à ce que nous définissons comme paranormal ou anormal. La normalité, ou la définition d’une réalité vraie ou fausse dépend malheureusement des valeurs dominantes dans un temps donné de la conscience humaine. Si nous ne cherchons pas à séparer le vrai du faux, le délire du réel, nous sommes obligés de nous occuper tout simplement de la souffrance. Face à elle nous sommes finalement égaux et les réponses des uns et des autres sont tout aussi valables. Donc la disparition du « moi » n’est pas un vrai problème, par contre la gestion du retour après cette expérience de « non moi » est fondamentale, une porte ouvrant vers la santé, l’espérance, la créativité ou alors la folie, l’état maniaque, le suicide ou la dépendance.

 Explorer la transe et les états de « non moi » nous fait penser au scaphandrier qui oserait s’aventurer dans les profondeurs du grand bleu et, ne respectant pas les paliers, se mettrait en danger, incapable de retrouver le bateau ou de se ré habituer à la vie en surface. La transe spontanée, ou hors cadre, est un peu comme la roulette russe. Le cadre est essentiel, le pourquoi permettant de mettre des mots et inscrire l’expérience dans une cohérence offrant au « moi » des éléments concrets pour se restructurer. Les anciennes traditions résolvent le problème en délimitant clairement et précisément l’intention, généralement un culte, l’expérience étant immédiatement reprise par les signifiants collectifs, chaque élément ayant sa place dans un système explicatif très précis avec un « moi » là-bas avec la transe, et un« moi » ici sans la transe.

 Le retour est donc ce moment d’alchimie projetant le « moi » dans de nouvelles capacités et surtout une nouvelle conscience, un nouvel être là. Certains états de désespoir vont empêcher ce retour un peu comme ces plongeurs des immensités bleues qui, ne souhaitant plus revenir, lâchent la corde. En fait, pour que ce processus du retour se passe bien, il faut vouloir revenir. Heureusement, derrière tout le poids morbide d’une dépression, le feu de la vie, cette énergie pure et instinctive, va se débattre et se réveiller dans la transe délivrant l’être de l’enfermement mortifère.

 Néanmoins, le scaphandrier choisit parfois d’y rester, ou d’y retourner encore et encore ce qui revient au même, s’éloignant à chaque fois plus d’un processus de conscience et de vie. Dans le film du « Grand Bleu » le héros plonge jusqu’à lâcher la rampe abandonnant sur le pont la femme qu’il aime et qui porte son enfant. Nous connaissons ces amoureux de l’état de transe qui préfèrent être là-bas, malheureux et désorientés face aux exigences de la vie de tous les jours. Le retour ne s’est pas fait, tout simplement. La transe doit être un enseignement de vie, pas un outil pour fuir ou se cacher. L’expérience doit se transformer en actes, en projets, en mots, en chants, en hymnes sinon elle se polarise, devenant une force énergétique contre soi, une implosion.

 Il est vrai que le contraste est de taille, mais la vie, la réalisation, le développement, la rénovation de l’âme même, se créent au fil des interactions horizontales. Il nous faut construire, ou reconstruire, un aller retour possible, la verticalité devenant une nourriture pour la dimension horizontale et inversement. Ainsi la spiritualité s’apparenterait à une fonction de la personnalité reliant le « je » à l’infini non révélé de la richesse intérieure.

 Le retour est comme un adieu. Même quand le voyage nous amène dans des dimensions difficiles, revenir donne l’impression de se faufiler dans une boîte. En effet nous passons d’un état d’expansion où temps et espace n’ont plus cours, à la densité énergétique du monde causal, un peu comme si après avoir vibré avec l’universel on se retrouve tout à coup petite graine. L’élément catalyseur du retour est la cohérence du cadre, offrant la possibilité d’une mise en sens, et un accompagnement maternant. En effet la désorientation est très importante et même si le « moi » peu à peu arrive à faire une synthèse en mettant des mots et des images, l’accueil, l’écoute, l’émerveillement même de l’entourage sont essentiels.

 Néanmoins le retour peut être barré en quelque sorte, la synthèse impossible, comme si le « moi » était enfermé dans une mort, le refus d’un deuil peut-être. Les émotions ou les souvenirs insupportables, déniés, entretiennent aussi l’éclatement. La synthèse ne peut se faire que si l’élan créateur de l’impulse horizontal existe, l’espoir de goûter la vie. Ainsi un nettoyage émotionnel préliminaire est absolument essentiel, ce qu’en thérapie nos appelons transe de décharge. Dans ces conditions la transe ouvre une porte offrant des retrouvailles avec le goût de la vie, réinstallant dans l’être et pour le « moi » cette aspiration.

 Le retour dépend finalement de la relation que nous entretenons avec la terre, un monde relatif, limité, fait de contrastes, de conflits, de différences, d’éphémère, mais magique, transformateur, et donc porteur de tous les possibles.

 Apprendre à aimer la terre demande du sentiment et de l’humain, de l’humilité aussi et une conscience spirituelle : savoir que l’endroit, l’être ou les choses que nous regardons sont des représentations de ce Tout, des instruments appelés à jouer dans la grande symphonie vibratoire de l’Universel.

 Spontanément nous portons en nous cette connexion verticale, la nature, la musique, la prière, le chant. Elle est une nécessité mais aurait besoin d’avoir sa place comme une nécessité. Le « moi » finalement est comme la terre, il est notre véhicule et doit être aimé comme notre terre à nous, celle qu’on laboure nous mettant pourtant au défi de tant d’épreuves. Un jour enfin, nous nous asseyons sur un banc pour raconter notre histoire, ou nous prenons la plume, nous unissant à ces milliers et milliers d’histoires qui, comme les étoiles dans le ciel, font partie du firmament de la conscience humaine. Retrouver la vie,  la centrer autour d’une verticalité, mais surtout la vivre, la sentir, la goûter, la pétrir, en faire l’expérience, en faire une création, afin que cette mystique rencontrée dans la transe ne soit pas un rejet de la terre mais une inspiration pour créer, se créer, et être.

 « Celui qui a eu une vision doit pouvoir la danser devant son peuple »                                                                                                               Black Elk

 La libération, la reharmonisation avec le courant intérieur de la vie est d’une certaine manière une acceptation créatrice, une écoute, une foi. La vie est tout, parce qu’elle est transformation perpétuelle, guérison et espoir. C’est nous qui, avec nos croyances, posons des limites en ayant peur du changement. La transe est un processus et un chemin

Qui dirige ?

 Lorsque nous parlons du « moi », nous parlons d’un concept. Et, lorsque nous disons « je » nous avons l’impression de sentir ce à quoi nous faisons référence. Pourtant la psychologie, la philosophie et même la religion nous montrent à quel point nous sommes inconscients des théâtres qui se jouent en arrière plan. A moment donné de notre réflexion, nous sommes obligés de poser les choses en ces termes : qui dirige et surtout au nom de quoi ce « qui » dirige ?

 Le processus de mort et renaissance auquel le « moi » est soumis pendant la transe nous ouvre à d’autres plans de conscience et à une expansion énergétique permettant au retour une restructuration du « moi », une nouvelle donne. Nous pouvons imaginer clarifier le fonctionnement économique du « moi » et comprendre l’agencement pulsionnel nous donnant envie de nous lever le matin, mais déplacer ce centre décisionnaire à un « je » en interaction parfaite avec la dynamique verticale et horizontale élève nos engagements et nos choix à une relation consciente avec l’aspiration de l’âme. Nous avons chacun d’entre nous la capacité d’aller là-bas et de revenir, mais aussi le libre arbitre d’en faire ou non quelque chose, construisant pas à pas un lien avec une dimension de transcendance, un travail d’évolution connecté à une spiritualité personnelle. Nous sommes finalement et à chaque instant le reflet unique de quelque chose, si possible de la Totalité.

 Qui va nous permettre de reconstruire le divin, qui va nous permettre de créer  en révérence au Créateur si ce n’est la possibilité de reconstruire ce lien à l’intérieur de nous-mêmes ? Qui va nous permettre de transcender l’impermanence si ce n’est l’acte de créer dans l’inspiration, de danser ce mouvement essentiel de la vie, de chanter et d’aimer ? Peut-être est-ce justement l’injustice qui fait de nous des chercheurs ?