Recto-Verseau du mois de juin 2012, n°231
1° Quelle est votre définition du chamanisme ?
Le chamanisme est avant tout un monde ou la grande cosmogonie, le grand mythe de création, est la nature, où le créateur se rencontre au travers du créé, où la vie est tout, une évolution cyclique et circulaire comme le temps lui-même, comme la spirale de la transe, immanence du divin dans toutes les choses de la création. Le chamanisme n’est ni dogme, ni religion mais une pratique de la transe en communion avec les forces de la nature, un voyage dans d‘autres réalités à la recherche d’une vision, d’un sens. De tout temps le chaman a été un être à part, le guérisseur, le sorcier, celui qui « voit » au-delà et peut dialoguer avec l’âme et les esprits des choses. Chamanisme veut dire retrouver cette capacité de communion spontanée, retrouver son chant au cœur de la grande symphonie
2° Peut-on être chaman en étant européen ?
On trouve des chamans encore aujourd’hui là où ont pu perdurer quelque chose des anciens cultes dédiés à la nature. Le cadre de référence utilisé est finalement très exotique, mais la nature, tout comme la transe, est une donnée universelle propre à l’Homme. En fait cette culture a existé sur le sol européen, au temps des Celtes par exemple, mais elle nous est devenue fondamentalement étrangère, fils et filles de la raison que nous sommes, façonnés par une vision objectivante de la matière et de la réalité. Notre relation même à la nature est diamétralement opposée, basée sur la maîtrise et la domination et non la participation mystique. Ainsi nous avons peut-être à faire naître ce chaman européen en ravivant une mémoire ancestrale et en faisant chanter la terre.
3° Y-a-t-il plusieurs formes de chamanisme ?
Le mot chamanisme est en fait un concept moderne né de l’étude de certaines pratiques trouvées ici et là de par le monde. Les ethnologues et anthropologues qui sont allés étudier ces pratiques sur le terrain témoignent de la diversité des croyances et des cultes, même des méthodes. Ainsi on peut effectivement dire qu’il y a différentes formes de chamanisme, certaines par exemple utilisent des produits hallucinogènes, d’autres pas. Certains ethnologues diront qu’il y a autant de formes de chamanisme que de chaman. Pourtant il y a certaines constantes : le lien à la nature, le voyage dans d’autres réalités jusqu’à l’essence des choses et la relation aux esprits, la transe et l’expérience de l’extase. Autre point important le chaman est un guérisseur, tout son art est mis au service de la communauté, il n’y a aucune visée individualiste.
4° Que peut nous apporter le chamanisme ?
La voie chamanique est un retour vers l’intérieur. Grâce à l’exploration de la transe, cette aventure est un pas à pas dans la découverte d’autres dimensions de soi-même. La transe est à la fois épreuve et initiation car elle ouvre un espace désossant la personne des certitudes qui arment sa réalité. Le vol de l’aigle qui commence alors est celui d’une redécouverte de ses propres valeurs spirituelles. Oser aller dans la nature et s’y perdre, oser le froid et la faim lors d’une quête de vison pour connaitre ses vrais démons et ses vrais ressources, oser entendre des voies amies alors que tout semblait perdu, trouver son vrai nom, une réponse à tous nos « pourquoi », est une aventure que je souhaite à chacun. Le chamanisme est une pratique qui nous amène à aimer la vie envers et contre tout.
5° Le chamanisme est-il une tradition actuellement à la mode ?
Il y a une dizaine d’années, lorsque je participais à un congrès de thérapie transpersonnelle, nous n’entendions guère parler du chamanisme et de ce type de transe. Aujourd’hui il semble que ce soit sur toutes les bouches et nous voyons apparaitre des chamans de tous les côtés, tentant de faire le lien avec notre manière de penser. Les livres sur le chamanisme pullulent. Nous avons certainement besoin de l’inversion que cette vision du monde propose, d’un autre lien à la nature. Et la transe fascine, trop peut-être car elle se transforme souvent en drogue. La transe est une pratique, le chamanisme est une pratique, nous avons soif de vérité, soif d’inspiration, soif d’une authentique expérience spirituelle.
6° Peut-on être chaman en étant citadin ?
La nature, l’épreuve de la nature est à la base de toute initiation ou même de toute expérience chamanique. Je ne crois pas tellement au voyages chamaniques confortablement installé sur un matelas. Le vol de l’aigle se vit après une épreuve, la transe aussi, et cette épreuve sert d’initiation. Une fois cette maîtrise acquise nous pouvons redevenir citadins car nous ne le serons plus jamais vraiment.