Article Synodies 2006, forum du GRETT
Boulimie et
dépendance
mal être du
féminin ou mal être au féminin
On décrit souvent la boulimie comme une maladie de femme et malgré l’effort sincère pour rendre compte de ce drame on se trouve confronté à l’absurdité presque ridicule de toute cette torture. Des femmes, ayant le plus souvent « tout pour être heureuses » se font subir laxatifs, vomissements, chirurgies, jeûnes, sport à outrance et autres inventions pour être minces, et irréprochables. Enfermées dans leur univers narcissique, les obsessions s’amplifiant, un terrible isolement s’installe jusqu’à réduire la réalité à un aller retour entre le miroir et le frigo, combat d’amour propre perdu d’avance face à un tortionnaire exigeant toujours plus et cautionné par le verdict d’une balance. Et tout cela pour obtenir un corps ! Anxiété insupportable, projetant sur une image corporelle idéale un laisser passer ? Désir d’un autre corps, d’un autre soi-même, d’une autre vie ? L’urgence quoiqu’il en soit prend toute la place au nom d’un rêve s’apparentant plus à un effort surhumain de survie.
Derrière l’horreur de la boulimie, les obsessions de minceur, la vraie souffrance est le plus souvent effacée et tue. En effet, la dépendance à un produit, nourriture ou drogue, est toujours une maladie de l’adaptation, de la honte et du silence. Pour guérir on a besoin de réapprendre les mots, ceux qui comptent et racontent l’histoire d’une destruction. Le rejet fondamental de soi-même, la désespérance et l’ennui en sont les témoins. La boulimie n’est pas une histoire de volonté, ni de régime qui a mal tourné, ni de rééquilibrage alimentaire, ni de quelques kilos en trop qu’il suffirait de perdre pour que tout aille bien. La boulimie n’est pas une histoire de femme mais un problème de société qui touche aussi les hommes, un problème de dépendance, le plus pernicieux de tous car le plus facile à maquiller. L’ennui n’est d’ailleurs certainement pas ici un caprice mais l’effet tragique d’une distanciation des émotions et des sens qui auraient permis de goûter la vie. En arrière plan apparaissent un perfectionnisme obsessionnel et la toute puissance d’un « je veux », « je veux et je peux être ce corps là, me fabriquer telle qu’il faut impérativement que je soie », érection fantasmatique s’échouant fatalement en boulimies.
Le plus souvent, le surinvestissement du comportement volontaire est déjà une attitude familiale niant de ce fait certaines fonctions naturelles et des facultés plus intuitives et spirituelles. Les personnes souffrant de boulimie arrivent dans le cabinet du thérapeute en rage contre elles-mêmes, contre la boulimie traîtresse, contre l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés pour ne faire que dévorer et manger, généralement devant une télé. Caméléons avec leur entourage, masquées de sourires et d’intelligence, elles sont animées à l’intérieur d’une dureté inouïe, d’une poigne de fer tendue vers un « je veux » inoxydable. « Pourquoi, alors que je fais tout comme il faut suis-je encore boulimique ? » clament-elles, se positionnant en victimes impuissantes d’une boulimie ennemie sans songer un instant à regarder l’inhumanité du tortionnaire qu’elles nourrissent en elles. La rage tourne en rond à force de se battre contre les faux problèmes, le plus difficile et le plus douloureux étant de renoncer à être quelqu’un d’autre que soi-même, oubliant les victoires de la volonté pour redécouvrir, ou découvrir, la joie d’une écoute et du lâcher prise. La boulimie est la vengeance réactive d’une nature maltraitée, déniée et jugulée. Un jour peut-être elle devient une amie, un garde fou contre l’aliénation de soi-même.
Guérir vraiment de la boulimie, comme de toute dépendance, est un processus d’inversion lent et douloureux permettant de reconstruire le désir, la relation à soi-même, à ses émotions, ses sensations, en allant chercher très loin à l’endroit du vide une libération de l’être et de l’impulse de vie[1]. Armé des certitudes de ses objectifs, cautionné par d’effectives valorisations sociales, le moi[2] n’osait s’avouer absent du monde, celui du sentir et du goûter, celui naissant d’un silence, du droit enfin d’être. Le monde de l’action, de la réalisation et des résultats est modelé par le masculin. Sans l’équilibre du féminin réceptif, sans ce temps d’attente autorisant les valeurs sensitives, émotionnelles et spirituelles, à prendre corps, il ne reste qu’un robot performant programmé par tous les idéaux collectifs, un être sans profondeur, sans intériorité, perdu dans une dépendance à l’horizontale.
Notre société occidentale s’est constituée autour d’une philosophie de base nous attribuant le droit à une domination de la Nature. Ce paradigme d’un monde décliné au masculin est allé tellement loin que nous faisons de la force masculine d’impulse et d’organisation une victoire de la volonté et de la logique, de la Lumière même, sur les forces soi-disant sombres de l’instinctif et de l’intuitif. Nous en arrivons ainsi à imaginer nous façonner nous-mêmes, grâce à une maîtrise héroïque, devenant en quelque sorte notre propre créateur. Des milliers d’années de préceptes judéo chrétiens nous ont ancrés dans cette idée d’omnipotence anthropomorphique, et aujourd’hui, dégagés du dogme, elle devient plus autoritaire encore laissant libre cours aux fantasmes des idéaux. Ainsi nous nous autorisons sans sourciller à transgresser les lois naturelles les plus élémentaires conformément à notre compréhension scientifique et logique. Sans doute avons nous perdu le contact et oublié. Notre cerveau archaïque ne nous offrant plus qu’un accès limité à une communion avec la Nature, nous ne savons plus nous nourrir d’elle, revenir à elle, à cette conscience.
Il était une fois un temps où une source naissant d’une pierraille, une île enfouie dans la brume au croisement de deux rivières, le mystère sauvage d’une forêt, le rythme régulier et inexorable de l’océan faisaient naître dieux et déesses. Ces lieux étaient sacrés parce qu’ils offraient la Vie, sans doute une expérience de transcendance car on y communiait avec les pulsations profondes des différentes expressions de la Nature. Ainsi on venait remercier la Déesse, mère de tous les mondes créés, et, en se soumettant à elle, sa Loi, ses cycles et ses passions, on communiait avec elle, rendant grâce à la Vie dans une profonde participation mystique.
Ce sont nos valeurs qui nous font tenir debout, ce à quoi nous croyons. Lorsqu’une personne perd l’accès aux sentiments profonds constituant la cohérence de son monde, ou lorsqu’elle a été amenée à douter de ce qu’elle ressent, elle perd sa verticalité et devient forcément corruptible et donc dépendante. Certaines valeurs sociales et morales organisent notre conscience et d’autres, plus profondes, parfois inconnues, se redécouvrent au gré d’un cheminement intérieur, elles appartiennent à l’essence, déterminant notre perception et nos réactions intimes. Elles sont fondamentales et inaltérables faisant partie de notre nature et du projet de l’âme. Nous ne pouvons être autre chose que ce que nous sommes, aucun idéal, forcément bardé d’innombrables « il faut, y à qu’à », ne peut maîtriser, transgresser cette nature profonde si ce n’est au prix d’une destruction. Cette violence a un prix, celle des dégradations successives de la boulimie ou de l’alcoolisme, ou de la drogue, ou du désespoir. Sans doute avons-nous besoin de retrouver le chemin de cette essence, ré apprivoiser sa nature et surtout en accepter les contours en intégrant ses lois qui sont aussi celles de la Vie elle-même. Le corps est forcément notre guide, non pas un corps image ou un corps objet, mais un corps devenu sensibilité, intuition et médiumnité, nous ouvrant un espace d’évolution tout en nous imposant une réalité tangible.
Comment comprendre l’aberration réduisant une personne à s’appuyer sur le verdict d’une balance pour tenir debout ? Après 100 ans de libération de la femme nous en sommes encore là. Qu’avons-nous réellement atteint ? Socialement certes certains préjugés ont été cassés. La cage est maintenant ouverte et les femmes ont la liberté et la responsabilité de leur choix. Mais psychologiquement elles sont encore prisonnières des rêves de Prince Charmant et donc des modèles du patriarcat. Nos mères se sont battues pour l’égalité mais elles n’ont pas changé le monde, elles s’y sont adaptées simplement en se donnant le droit d’être elles aussi masculines. Le rejet du féminin est le même, peut-être plus fort encore. Hier nous nous retrouvions entre femmes, prisonnières des tabous, pour vivre nos périodes de règles. Aujourd’hui nous prenons des médicaments pour ne pas faillir, au risque d’être accusées de S.P.M.[3] Les indiens attribuaient ce temps de sensibilité à un pouvoir, une médecine, permettant aux femmes d’accéder à des visions utiles pour toute la communauté. Hier nous étions vouées à être femmes au foyer, aujourd’hui nous sommes tout aussi soumises au tampon approbatif de l’homme, pas les vrais que nous côtoyons, eux aussi pétris de souffrance, mais ceux dans la tête, princes et aventuriers qui font vibrer notre romantisme infantile. Ainsi, avec un corps encore une fois objet nous devenons des performantes du sexe, enragées contre notre propre vagin qui lui se garde de livrer n’importe comment les initiations de ses mystères.
Emilie est médecin de haut niveau, elle vit seule avec ses richesses, sa boulimie et son alcool. Dans la vie elle s’ennuie, il lui faut les sommets, le pointu d’une réflexion de chercheur, l’intelligence absolue. Et puis, un homme apparaît. Elle devient alors une toute petite fille prête à aller au bout du monde pour un regard ou une approbation. « Je veux me sentir digne » dit-elle et, loin de pouvoir assumer ses besoins et sa fragilité, elle ne sait dire ni oui ni non en réponse à son partenaire. Combien d’entre nous sont ainsi, avides et affamées d’un regard, apeurées de leur solitude garantie par une réussite sociale ? Peut-être nous sommes-nous trompées de chemin. En épousant les valeurs masculines mieux encore que les hommes nous nous retrouvons affamées, rêvant d’un homme pour redécouvrir la femme. En fait c’est elle qui nous manque, elle qui reste là enfouie dans notre corps de femme, elle qui détient la révélation du mystère d’être femme dans sa puissance et sa spiritualité. Nous n’avons guère remis Freud en question, et le XIX ème siècle non plus. Ce pénis finalement, nous manque-t-il ou pas ? Se pourrait-il que nous n’ayons rien entre les jambes, reléguant ainsi les hommes à une course désespérée au « grand pénis » ? Ou se pourrait-il qu’en osant à nouveau respirer, nous ayons là, dans cette attente en creux, un nouveau monde en naissance ?
Qu’est-ce qu’une femme ? La douceur, l’accueil, l’écoute ? Une certaine transparence donc, un miroir évanescent épousant une projection de l’homme devenu guerrier tout puissant, victorieux du dragon, mais peureux d’une confrontation à une vraie dualité ? La constellation archétypale née du monde Greco Romain, la mère, la vierge, la prostituée, fait de la puissance féminine, de la femme elle-même, une énigme ou un effroi. En effet, une fois ancrée dans sa propre nature corporelle, libre d’être, elle est, sans s’appuyer sur le désir de l’homme, si ce n’est pour lui offrir une initiation. Emotion, vibration, jouissance, création, existence peuvent transmettre alors une des facettes de l’extraordinaire féminin, essence de la Vie dont nous sommes tous, hommes et femmes, les dépositaires mais très différemment. Le corps de la femme, gardien éternel d’un mystère, a, de manière intrinsèque, le don d’en révéler la substance. Le pôle réceptif est potentiel et magie créatrice, mise en mouvement des mondes. Le féminin dans sa puissance est une force de création innée, celle du chaos d’où naît l’infini des possibles, celle autorisant, ouvrant l’espace d’un recommencement, une renaissance après la mort, mouvement infini d’une intention qui nous dépasse. Le féminin est cyclique et non pas linéaire, il est comme la spirale de la transe, ou la spirale évolutive de la matière et de la conscience, laissant émerger dans la danse du temps l’organisation constructive des réalisations universelles.
Les femmes ont été dépouillées d’une dimension spirituelle propre et se retrouvent enfermées dans des modèles niant la part créatrice et transformatrice du féminin dont elles sont plus spécifiquement porteuses. Le français, par exemple, n’a aucune correspondance pour le mot anglais « crone » décrivant l’étape de la vieillesse chez la femme. Le dictionnaire propose « vieille ratatinée ». Alors que l’archétype du « vieux sage » offre aux hommes un crépuscule, les femmes semblent devoir se débattre avec la sorcière au menton poilu des contes de fée pour imaginer cette magicienne de la Nature, pas toujours commode, ayant récolté au long de toute une vie pouvoir et sagesse. Maudite par le patriarcat pour avoir voulu témoigner d’un autre monde, elle est là à l’intérieur de nous, un guide potentiel vers une autre relation à nous-mêmes et à la Vie. Elle est cette puissance au féminin, maîtresse des lois de la Nature qui, pour lui avoir tant obéi, l’avoir tant aimée, peut apporter une guérison.
Le féminin ne s’appréhende pas, ne se concrétise pas, il permet, fait naître. Accueillant l’impermanence au nom d’une éternelle renaissance, il est lâcher prise, mort et vie, vie en mouvement et renouvellement de la Vie. La dimension initiatique, révolutionnaire du féminin a été bannie. Elle est, il est vrai, imprévisible et incontrôlable, obéissant à une intention que nous ne pouvons définir, ancrée dans la Nature elle-même, dans la nécessité ou l’expérience. L’initiation au féminin nous inflige de mourir pour renaître, d’accepter le néant pour laisser émerger l’inconnu, l’invisible pour voir autrement. Etre, naître, nous impose l’alternance des cycles, l’euphorie ou la douleur des sens, l’avoir et la perte, au nom peut-être d’une évolution de la conscience, d’une sagesse humaine très différente d’une recherche d’absolu. Tristement nous sommes héritiers de dogmes nous présentant l’incarnation, le corps, la vie terrestre même, comme une punition et nous exultant à gagner un ailleurs paradisiaque au prix d’une domination ou d’un rejet de la matière et des sens. Dans un monde décliné au féminin, le paradis retrouvé est aussi celui d’un amour de la terre, d’une humanité conquise en labourant notre terre, en creusant notre sillon, en vivant notre corps pour y découvrir les messages du cœur et de l’âme.
Athéna, déesse de la Sagesse, émerge toute armée de la tête de Zeus qui auparavant avait avalé sa mère. Lumière du monde masculin de la connaissance, elle naît en faisant l’impasse sur l’évènement de la maternité et de la filiation matrilinéaire. Elle représente l’avènement d’une nouvelle ère ordonnée par des dieux et non plus des déesses. De cet avant chtonien il lui reste le hibou qu’elle porte sur son épaule, témoin de sa connaissance de l’obscur. Cantonnant ses sœurs aux joies du filage et du foyer, fille à part entière du père, elle préside aux nouvelles valeurs de la cité. Dieux et déesses se sont installés dans des temples de pierre, abandonnant les bocages et les rivières à l’oubli. Seul Dionysos, personnage hermaphrodite et révolutionnaire, reste pour témoigner d’une autre vérité, celle de la Vie encore sauvage et de l’initiation par la transe. Au son des sistres et des tambours, il défie ce nouveau monde et rappelle, surtout aux femmes devenues trop laborieuses, l’importance d’honorer la Nature, l’instinct et l’indompté. Il nous a fait, paraît-il, don du vin, symbole d’une ébriété parfois initiatique mais surtout de la sève inépuisable de la vie au moment de la transe. L’alcoolique d’aujourd’hui cherche à perdre la tête pour se libérer du joug obsédant des « il faut, y a qu’à ». Il disparaît dans son vin alors qu’il aspire à la liberté. Le chemin de la transe a été oublié et perdu, c’est aussi celui du corps.
La nature en fait nous fait peur. On l’idéalise mais on s’en préserve en dépensant des fortunes en équipement pour s’en protéger, pulls, lunettes de soleil, appartements surchauffés etc.… Ces outils sont d’un apport inestimable mais au bout du compte nous faisons tout pour ne pas la sentir et vivre en dépit d’elle au lieu d’avec elle. Les médicaments sont un autre moyen de protection, surtout les plus simples. Tout en étant une des plus grandes inventions de notre temps, au quotidien ils nous permettent de continuer à tenir le rythme sans se limiter à écouter les messages d’un mal de tête ou d’un mal au cœur. Nous abusons très naturellement cette nature que nous sommes en évitant d’entendre et d’accepter ses lois. L’une d’elles, la plus fondamentale, est celle du cycle d’entropie de la matière, le vieillissement. Mais nous fuyons aussi d’autres épreuves, la vie, la mort, le déterminisme sans doute injuste de l’ADN. Souffrances et joies, luttes et ravissement, déchirement et extase, frustration et orgasme, forment un univers d’impulse et d’émotion dont on apprend fondamentalement à se méfier. Vivre nous déchire et nous passe à tabac pour finalement ne rien garder. Alors on vit en héros, pétri de blocages, déconnecté, assoiffé d’absolu ou d’idéal, ou abruti de plaisirs compensatoires. Revenir à la nature pose la question d’une acceptation.
La déesse se tait mais nous harcèle de souffrances, dépression, boulimie, drogue, perversion sexuelle etc.…sans elle, sans son feu transformateur et sa puissance nous sommes des cerveaux, des idéalisations, incapables de goûter la vie, de trouver la joie et l’apaisement même dans nos propres réalisations. Les sens, l’instinct, l’émotion, l’intuition sont un ancrage nécessaire permettant à l’expérience de redevenir une inspiration. La vie est mouvement et impermanence, face à cette insupportable vérité nous nous forgeons une soif d’absolu. Chaque époque et chaque tradition s’est construit une imagerie de l’enfer véhiculant certaines valeurs philosophiques. L’enfer est sans aucun doute l’endroit de la souffrance, cette pierre d’achoppement, unique à chacun d’entre nous, poussant l’Homme dans une quête, à la recherche d’un paradis. Lorsque le corps, la vie, cesse d’être l’origine du mal mais devient une expérience de la conscience, un chemin initiatique, l’Homme va à la rencontre de ses réponses grâce à sa propre expérience de Totalité. Ainsi il reconstruit sa verticalité et ré apprend à marcher debout sur son chemin.
La boulimie, chez les hommes ou chez les femmes, doit être considérée comme une drogue, une de ces « petites drogues de tous les jours »[4] faites d’euphorisants et de calmants, de faux-fuyants anesthésiant la vie ou au contraire lui redonnant du piquant. Nous parlons d’une folie très actuelle faite de plaisir et de stimulations sans fin mais sans apaisement. On donne de la cocaïne aux indiens pour qu’ils puissent continuer à travailler dans des conditions insupportables. De quoi finalement sommes-nous esclaves ? Si nous construisions un autel pour y mettre nos valeurs les plus intimes, oserions-nous y mettre le corps ? Oserions-nous à nouveau apporter des offrandes à la Déesse ? Non pas en mettant du tabac au pied d’un arbre mais en s’offrant à elle, en revenant à la matière, à sa danse innée, au lâcher prise, en renonçant à l’aspiration d’un absolu pour vivre le relatif d’une expérience humaine où pourtant chaque pas peut être une expression du divin.
La dépendance n’est pas seulement une histoire sociale mais l’appel à une nouvelle philosophie remplaçant ce « je veux » par un lâcher prise nous permettant de revenir au flux de la Vie. Saint Georges doit peut-être apprendre à soigner son dragon parce que, sans lui, finalement il n’est plus rien. La transe est un don de Dionysos, une expression du corps accessible à tous, la voie intrinsèque du dedans et de l’expérience extatique. Elle est une porte offrant pour quelques instants la possibilité d’être totalement la Vie et d’y trouver régénérescence et guérison. Tambours, danses, chants, un souffle qui s’accélère vont amener à ce paroxysme, le moi éclate, le moi des croyances, du « je veux » et de l’identité. Le corps devient énergie et mouvement, inconnu et lumière, inconscience et totalité de la conscience. Au retour inévitablement, au moment où le moi se reconstruit, une nouvelle perception s’installe, et la nécessité de faire face à la vérité des changements. Réintégrant l’intuition de sa propre dimension transpersonnelle, il abandonne sa toute-puissance et se transforme en transmetteur s’appuyant à la fois sur une expérience horizontale et verticale. Il est alors soumis, au travers des différents cycles de mort et de renaissance, au processus évolutif de la conscience. Celle-ci devient une valeur sacrée. La fascination des objectifs, des actes et des réalisations vient s’équilibrer avec l’impact de ce voyage intérieur, à la fois énergétique et intuitif, pour laisser la place au Graal de la conscience.
Quels seraient les messages d’une philosophie naissant des retrouvailles avec la Nature, de la transe d’une communion avec la source, la forêt, la mer, la nuit et l’aube ? La Nature est une initiation. Devenant à la fois notre origine et notre devenir, elle nous offre un retour à l’essence, à un état naturel de transcendance des personnalités nous permettant de redécouvrir nos symboles, la vision, et de cheminer avec notre âme sur terre. La psychologie transpersonnelle nous enseigne l’importance des états altérés de conscience pour la guérison psychologique et spirituelle. Sortir de la dépendance, avérée ou pas, est impossible sans soigner l’espoir, sans la reconstruction d’un possible paradis terrestre. Comment faire la paix ? Comment retrouver le goût essentiel de la Vie ? Toute personne ayant un jour connu le naufrage de la dépendance pourra témoigner de cette extraordinaire aventure humaine du retour à la Vie.
C’est en redécouvrant la générosité de la Terre que nous pouvons guérir de la faim.
[1] impulse
de vie : un concept décrit en détail dans mon livre « La
boulimie, un suicide qui ne dit pas son nom », Ed. De Boeck, 2002.
[2] moi :
le moi est un concept utilisé différemment en psychologie. Ici je propose de le
prendre au sens large d’un sentiment premier d’identité, pour plus de précision
se référer aussi à mon livre.
[3] S.P.M. : syndrome pré menstruel
[4] petites
drogues de tous les jours : est une expression un peu ironique
utilisée dans mon livre pour parodier la banalisation de cette souffrance
quotidienne et très répandue